Lorsque Le Temps des Cerises ouvre ses portes en 1976 rue de la Butte aux Cailles dans le 13e arrondissement de Paris, la convivialité et le lien social sont d’emblée au cœur du projet. Des valeurs qui forgent la raison d’être du restaurant coopératif plus fortement aujourd’hui encore, à l’heure où la crise sanitaire contraint le secteur de la restauration à maintenir le lien avec les clients bien différemment.
L’euphorie des débuts
C’est en 1976 que Le Temps des Cerises, fondé dès son origine en Scop par huit amis de 22 à 30 ans issus du milieu artistique, libertaire et communiste, ouvre ses portes au cœur du quartier de la Butte aux Cailles dans le 13e arrondissement de Paris, dans les locaux d’une ancienne épicerie en faillite. « Dès le départ, l’objectif était de créer un lieu convivial, un lieu de débat politique, artistique » raconte Guy Courtois, qui a rejoint l’aventure en 1979 et est aujourd’hui le plus ancien salarié de la Scop. « Le restaurant était presque anecdotique dans le projet initial. Nous avons surtout saisi l’opportunité, que nous offrait ce local disponible, de nous implanter dans un quartier qui avait à l’époque très mauvaise réputation, mais dans lequel émergeait dans ces années-là une euphorie, une envie de refaire le monde. L’achat du fonds de commerce a ainsi été financé par les dons de personnes qui avaient envie que ce projet voie le jour. Pendant toutes ces premières années, l’idée était de manger tous ensemble sur de grandes tablées pour un prix bas, comme si on mangeait chez soi. Et les débats d’idées y faisaient rage ! »
« On s’est dit : tout est perdu, il n’y a plus rien à perdre »
Mais dix ans plus tard, la donne a changé, et la Scop doit faire face à de grosses difficultés. Une fermeture administrative de 2 mois, ainsi qu’un contrôle fiscal très conséquent amènent le restaurant au bord du dépôt de bilan. « C’étaient les années où Paris changeait, où le quartier de la Butte changeait… alors on s’est dit qu’on avait tout perdu, donc qu’on avait plus rien à perdre. Et on a décidé de mettre en place une restructuration totale de notre fonctionnement », poursuit Guy Courtois. Les coopérateurs décident alors d’augmenter la qualité de leurs produits, et par conséquent les prix de leurs menus. Tous les 8 se forment également à la comptabilité, à la restauration, au vin, au service… Une nouvelle formule qui ne plait pas à tout le monde, mais qui porte ses fruits : « Nos amis anar et artistes nous ont tourné le dos, pour eux nous trahissions l’esprit initial du Temps des Cerises. Mais à côté de cela, nous avons touché un public nouveau, la clientèle du quartier avait changé. Et ça fonctionnait très bien ! Dans ces années-là, on embauchait un nouveau CDI chaque année… »
Une période prospère qui a perduré jusqu’à l’an dernier. Aujourd’hui, la Scop compte 13 salarié·e·s, dont près de 80 % sont associé·e·s. Quelques anciens salarié·e·s, partis à la retraite, restent associé·e·s, pour « apporter un regard extérieur et nous aider à aborder les problématiques avec plus de recul », précise Guy Courtois.
Des plats garnis à 1 € pour les étudiant·e·s
Et puis est arrivée la crise sanitaire. En 2020, le restaurant a fait le choix de rester fermé, pendant les périodes de confinement, car son offre n’était pas calibrée pour la vente à emporter. Mais en janvier 2021, deux éléments amènent le collectif à repenser les choses. « On a décidé de rouvrir les jeudis, vendredis et samedis en proposant des plats à emporter. Honnêtement, on le fait presque à perte, mais le besoin de nous revoir, de maintenir le lien entre nous, de garder le contact avec nos clients, était trop fort. Et puis en voyant la crise perdurer, on s’est interrogé sur ce que nous pouvions faire, sur le plan social, ce qui est une question évidente pour nous, directement liée à l’existence même du Temps des Cerises », explique Guy Courtois. « Alors rapidement, on a pensé qu’on pouvait faire quelque chose pour les étudiants, pour les aider à manger sain et à garder du lien social. On leur propose ainsi un plat garni à 1 € tous les samedis. C’est aussi un clin d’œil aux jeunes, qui nous perçoivent peut-être comme un resto de vieux, alors que nous, nous nous sentons toujours aussi jeunes dans nos têtes ! » Depuis la mise en place de cette initiative, un groupe d’une cinquantaine d’étudiant·e·s se retrouve tous les samedis. Parallèlement, la Scop a mis en place une caisse de solidarité à destination des étudiant·e·s, qui sera pérennisée au-delà de la période de crise. « Avec cette opération, on retrouve l’idée même qui a conduit à la création du Temps des Cerises, et qui reste notre moteur », ajoute Guy Courtois.
La Scop : un atout indéniable pour résister à la crise
Une idée qui dès la création du restaurant s’est également traduite dans la gouvernance, avec le choix de la Scop. Et en période de crise, ce statut démontre une nouvelle fois ses atouts. « C’est indéniable, le statut coopératif est un avantage. Comme nous avons connu plusieurs années bénéficiaires, nous avons pu être économes, et constituer des réserves importantes. » Ainsi, même si l’exercice 2020 est pour la première fois depuis longtemps déficitaire (lié aux confinements, bien sûr, mais également aux grèves de la RATP début 2020, et à la limitation des terrasses à 22h l’été dernier), le restaurant a pu combler cette perte grâce à ses réserves. « Être en Scop dans le milieu de la restauration, c’est une chance », détaille Guy Courtois « car dans un restaurant classique, on est plutôt sur une logique de profit immédiat, qui ne permet pas de faire d’économies pour les temps plus difficiles. Un autre avantage est qu’humainement, on s’accroche beaucoup plus parce qu’on croit en notre projet, on y est fortement impliqué. On entretient des relations saines et respectueuses avec tout le personnel. La semaine dernière, j’ai lu qu’il pourrait manquer près de 100 000 salarié·e·s à la réouverture des bars et restaurants. Ici, on n’est pas confrontés à la désaffection des salarié·e·s, et même celles et ceux qui ne sont pas associé·e·s de la Scop font preuve de fidélité et de confiance vis-à-vis du Temps des Cerises. »
Le Temps des Cerises sous l’œil d’ARTE
Le choix de la forme coopérative, tout comme celui du nom du restaurant, en hommage à la Commune de 1871, s’inscrit dans l’histoire ouvrière, populaire, de Paris. Aussi, rien d’étonnant à ce que l’association des Ami·e·s de la Commune de Paris, installée à la Butte aux Cailles, ait proposé à ARTE d’interroger Le Temps des Cerises dans le cadre de son projet documentaire pour l’émission Invitation au voyage, qui sera diffusé fin mai, sur le thème des 150 ans de la Commune. Le tournage a eu lieu le 17 avril… affaire à suivre !