C’est depuis Lailly en Val, petite ville de 3 000 habitants située entre Orléans et Blois, que s’écrit l’histoire de la Scic Jeux de vilains depuis près de 20 ans. Tout à la fois très ancrée en local et ayant tissé un réseau fort à l’international, Jeux de vilains place le dialogue entre les cultures au cœur de son projet artistique, proposant ainsi un théâtre « exigeant et populaire, ni élitiste, ni populiste ».
En juillet dernier, la Scic a fêté le multiversaire des 50 ans de la compagnie. L’occasion de revenir sur son histoire, mais aussi sur son avenir, placé sous le signe de la transition écologique.
De Cyrano au Râmâyana
« Tout a démarré en 2003 », raconte Grégo Renault. « J’étais instit’, Cécile [Hurbault] au Conservatoire de Théâtre d’Orléans. On a alors monté notre premier spectacle de marionnettes, Le Nez de Cochon de Cyrano, qui a rapidement connu pas mal de succès au cours de nos tournées aux quatre coins de la France, alors même qu’on était en pleine crise des intermittents. Au bout de deux ans, Jeux de Vilains était officiellement créée, sous forme d’association. On s’est alors beaucoup impliqué dans le village de Lailly, où on est toujours implanté aujourd’hui. »
Durant les années suivantes, Cécile va enchainer plusieurs voyages en Asie du Sud-Est, où elle étudie le théâtre d’ombres traditionnel, jusqu’à rencontrer en 2008 Widodo Wilis, un maître indonésien qui lui décernera le titre de Dalang (maître marionnettiste). Le dialogue entre les cultures prend forme dans les créations proposées par Jeux de vilains, mêlant les influences issues du théâtre traditionnel asiatique aux adaptations marionnettiques contemporaines. La compagnie se fait rapidement un nom, et en 2009, un premier CDI est signé au sein de la structure, avec l’arrivée d’une chargée de diffusion. Puis, entre 2010 et 2012, des résidences ont lieu entre les deux compagnies. Les Jeux de Vilains partent jouer en Indonésie, tandis que Widodo Wilis joue en France.
De l’association à la coopérative
En 2013, Grégo et Cécile font le choix de transformer l’association existante en Société Coopérative d’Intérêt Collectif (Scic), un choix alors encore rare et atypique dans le secteur culturel [le statut Scic a été créé en 2001]. « D’une part, ce choix venait assumer le fait que la compagnie était essentiellement portée par Cécile et moi, les fondateurs.
D’un autre côté, le collectif a toujours été au cœur de Jeux de vilains : la co-construction, en particulier avec les bénévoles et les usagers, est un élément très important.
On est à l’écoute de chacun, tout le monde participe à la vie de la compagnie et peut faire émerger des projets et les porter. La Scic venait donc mettre en cohérence nos statuts avec ce fonctionnement. Avec l’appui de l’Union régionale des Scop & Scic ICD, on a alors construit nos statuts, qui définissent cinq collèges en charge des prises de décisions de la compagnie : celui des responsables du projet, celui des salariés, celui des bénévoles et usagers, celui des personnalités, et enfin, celui des associations partenaires et collectivités locales. 50 % des pouvoirs de décisions reviennent au collège des responsables du projet, car c’est bien nous qui portons le projet au quotidien. Mais les 50 % restants, répartis sur les quatre autres collèges, apportent un équilibre et un contre-pouvoir d’une grande richesse. Ceci dit, on est plutôt bien raccord parce qu’en 10 ans de Scic, toutes les décisions ont été votées à l’unanimité ! », précise Grégo Renault.
Aujourd’hui, la Scic compte une soixantaine d’associé·es dont une trentaine de salarié·es, une vingtaine de bénévoles et usager·ères, et une vingtaine d’associations, collectivités et soutiens associés.
Une ligne artistique à la fois exigeante et populaire
Les activités de Jeux de vilains ne se limitent pas à la création et à la représentation théâtrale, même si celles-ci restent centrales. Ces deux dernières années, la compagnie comptabilise ainsi 180 représentations, soit près du double de la plupart des autres compagnies. « Actuellement, nous avons 11 spectacles en cours de représentation, dont 2 en co-production », détaille Benoit Sanson, chargé de communication de la compagnie. « On a très peu pâti de la crise sanitaire, en raison du petit format de nos spectacles, aux jauges limitées, et de leur forme mobile, facilement transportable en train, dans des valises. Notre force a été d’aller vers le public quand celui-ci ne pouvait plus venir vers nous. Cela a contribué à renforcer notre ancrage local, à travers nos liens avec les écoles et les médiathèques, notamment. » Parallèlement, Jeux de vilains continue de tisser des ponts culturels partout à travers le monde, du Japon à Cuba, en passant par le Québec ou, prochainement, les Seychelles. « La marionnette est un art qui a la force d’être un médiateur entre tou·tes, c’est ce qui nous unit, c’est un langage universel », constate Grégo Renault. Un langage universel qui permet à Jeux de vilains d’investir de la médiation culturelle, principalement en région Centre-Val de Loire : des ateliers de création et de manipulation pour adultes et enfants, des stages de théâtre marionnette, des actions de sensibilisation… mais aussi des collaborations extérieures, avec un café-culturel, l’(H)amac, une AMAP culturelle, la saison marionnette Petites Formes Mouvantes et Émouvantes en tant que programmateur, ou encore l’implication dans un jardin partagé de Lailly.
Le multiversaire de Jeux de vilains
Le 8 juillet dernier, la Scic a décidé de marquer le coup en fêtant son multiversaire : les 20 ans du Nez de Cochon de Cyrano, son spectacle fondateur – encore joué aujourd’hui –, les 18 ans de la compagnie, les 10 ans de la Scic… et les 2 ans qui permettent d’arrondir à 50 ans ! Une demi-journée de festivités en plein cœur du jardin partagé De la graine aux fruits, ponctuée de la 139e représentation du Nez de Cochon, d’un quiz, et de concerts.
Un événement qui a permis également, avec la plantation d’un figuier, de poser la première pierre du grand chantier dans lequel se lance aujourd’hui la compagnie : celui d’un projet écologique de réduction des émissions carbone de Jeux de vilains.
« Le lancement de ce chantier est le fruit d’une longue réflexion au sein de la Scic », développe Benoit Sanson.
« Nous faisons le constat, au sein de la compagnie mais plus largement dans le monde du spectacle, de l’impact conséquent de nos activités sur l’environnement.
Ce constat, que nous avons étayé par la réalisation du calcul de notre empreinte carbone, nous a poussés à nous fixer des objectifs, calés sur des indicateurs prenant en compte nos contraintes réelles. Le constat est sans appel : ce qui nous plombe, ce sont nos déplacements en avion pour nos créations internationales, ce qui est assez paradoxal puisqu’on a toujours recherché ces échanges avec les cultures étrangères. On ne va pas complètement les arrêter, mais on va donc réorganiser notre activité, en prenant pleinement conscience de ces données et des contraintes qu’elles engendrent, dans notre évolution future. On ne traversera plus l’Atlantique pour 1 ou 2 dates, comme le secteur le faisait auparavant ! »
Au-delà des objectifs qu’elle s’est fixés pour elle-même, la Scic s’inscrit dans une démarche évolutive et collaborative : « On a créé une page dédiée sur notre site Internet, sur laquelle on partagera en toute transparence les résultats de nos bilans, de notre réflexions, de nos expérimentations… dans l’idée d’échanger sur les bonnes pratiques et de dialoguer avec toute autre structure, qu’elle soit culturelle ou non, déjà engagée dans ce type de démarche, ou qui souhaiterait se lancer. Si on peut, à notre échelle, participer à une prise de conscience plus générale, on s’en réjouit ! » conclut Grégo Renault.